CSC de Total à Jurançon
Y a-t-il un pilote dans le pilote ?
Article mis en ligne le 1er décembre 2011
dernière modification le 20 novembre 2011

Le premier pilote de capture, transport et stockage géologique de CO2 (CSC) réalisé en France par Total (captage à Lacq, stockage souterrain à Jurançon) depuis 2009 soulève toujours les oppositions.

La France a mis en place un régime juridique ad hoc, mélange de droit minier avec quelques touches de droit de l’environnement, très favorable à l’exploitant. Notamment, à la fermeture du site, après une brève période de surveillance par Total, c’est l’État qui, sur fonds publics, prendra en charge la surveillance et les interventions en cas de problème ou de fuite sur le puits.

Les associations locales et nationales (CJE, Sepanso Béarn et région, FNE) ont donc attaqué l’arrêté d’autorisation en juillet 2009. Le TA de Pau n’a toujours pas fixé d’audience mais nous a promis que l’affaire serait jugée à la fin de l’année 2011.

En termes de participation, l’État a mis en place dés le début une CLIS pour accompagner le projet. Ce forum a certes permis aux associations d’accéder à des informations importantes, mais leurs principales demandes n’ont pas été entendues ni satisfaites : tierce expertise indépendante ; prise en compte des risques révélés par l’INERIS ; bilan carbone de l’opération. On a donc le sentiment que le rôle de contre-pouvoirs que peuvent constituer nos associations est réduit à néant, si l’on se réfère au peu de cas qui est fait de nos arguments légitimes, et à la lenteur avec laquelle le tribunal administratif de Pau instruit (ou pas) le recours déposé en juillet 2009.

problèmes techniques

Le pilote a, dès le départ, subi des défaillances techniques : compresseur de gaz plusieurs fois en panne, dysfonctionnement des sondes micro-sismiques sensées alerter en cas de mouvements du terrain.

Le flou des chiffres est également inquiétant : 120 000 t de CO2 devaient être injectées initialement, mais Total a réduit ses ambitions à 80 000 t, alors que 20 000t seulement l’ont été depuis 2010. On ne sait donc pas si ces volumes correspondent à des objectifs scientifiques ou à des stratégies de communication.

Surtout, en octobre 2011, Total a demandé le report de l’échéance de fin des injections, qui était prévue début janvier 2012. Or Total avait annoncé avoir déjà obtenu du pilote l’essentiel des données recherchées On peut donc se demander pourquoi continuer à injecter.

On sent surtout depuis quelques mois que Total joue la montre, et cherche à reporter ses obligations de fermeture et de mise en sécurité du site à une période ultérieure : ultérieure à la disparition de TEPF (prévue en 2013) ; ultérieure à la transmission des activités de TEPF à une société faux nez ; ultérieure à la période actuelle de vigilance des syndicats et des associations.

une évaluation des risques défaillante 

Les associations ont demandé depuis le début une évaluation scientifique indépendante, tant sur les risques induits par la technique (le CO2 est un gaz inodore et indétectable, mortel à 7% de concentration dans l’air, il acidifie les nappes d’eau et les terrains) que sur le bilan carbone de l’opération. Or les expertises ont été réalisées par Total et le BRGM (qui participe au développement du CSC, et vend l’expertise de sa filiale Géogreen, en partenariat avec Total). L’INERIS, qui a l’an dernier fait état des risques pour les ressources en eau [1], a été écarté des expertises.

En 2010, une étude américaine a montré que le CO2 sous pression ne se dissout pas et a plutôt tendance à remonter à la surface, ce qui se produit aujourd’hui en Norvège à Sleipner [2]. Ce qui pourrait poser quelques problèmes en cas de fuite ou de dysfonctionnement des installations de surface.

En ce qui concerne le bilan carbone de l’opération, il n’a pas été révélé.

En outre, aucun indicateur de terrain ne peut alerter les riverains sur d’éventuels fuites ou relargages de CO2. Les études environnementales effectuées à la demande des associations ont au contraire démontré qu’aucun bio-indicateur n’est pertinent sur le site. Ainsi les associations et les citoyens n’ont aucun moyen à leur disposition pour déceler une fuite éventuelle, et doivent se fier aux analyses de la chimie des eaux effectuées par Total et transmises à la DREAL.

Enfin, on sait que les méthodes d’intervention en cas d’urgence (fuite massive par des failles ou par le puits), de détection de fuites diffuses, ou de remédiation (dépollution des nappes) en cas de non-maîtrise sont encore très expérimentales, de l’aveu même du GIEC. On ne sait d’ailleurs toujours pas quelle technique va utiliser Total pour assurer l’étanchéité du puits au moment de sa fermeture, dans quelques mois ! Ce qui explique peut-être aussi le report de la fermeture….

l’abandon des projets dans d’autres pays

Depuis, d’autres projets ont été annoncés en France (Claye-Souilly par Veolia, Le Havre par Total). Le projet de Florange porté par Arcelor Mittal semble au point mort suite à la fermeture temporaire du haut-fourneau.

Il semble donc que la France se lance, la fleur au fusil, dans le développement de cette technique qui n’a fait l’objet d’aucun débat public d’envergure, contrairement à ce que demandaient les associations. Une technique risquée, que d’autres abandonnent déjà : le CSC sera-t-il le second nucléaire de la France ? Il semble en effet que notre pays se jette une seconde fois dans une erreur stratégique en matière d’énergie, avec le même scénario que pour le nucléaire : pas de débat public, des experts liés aux exploitants, un démantèlement des installations laissé à la charge de l’État, non provisionné et dont on ne connaît actuellement pas les techniques disponibles.

Au contraire, dans d’autres pays où les élus locaux ont relayé efficacement l’inquiétude de leurs concitoyens, les projets sont abandonnés un à un.

Les Pays-Bas avaient déjà annoncé, en novembre 2010, renoncer à un projet de stockage géologique du CO2 de Shell, sous la ville de Barendrecht, près de Rotterdam, devant le « manque total de soutien local ». Une expression lénifiante pour reconnaître le refus massif des populations locales, bien relayé par leurs élus. C’est ce dernier relai qui manque en France, malheureusement.

En Allemagne, le Bundesrat a rejeté le 23 septembre 2011, un projet de loi sur le CSC. Sur les deux projets de taille industrielle qui devaient être réalisés en Allemagne, celui de l’électricien RWE est déjà abandonné.

La Grande-Bretagne rechigne également à investir le CSC. Les sociétés privées Shell, National Grid, et Scottish Power (filiale écossaise de l’espagnol Iberdrola) portaient un projet de captage du CO2 de la centrale au charbon de Longannet (Ecosse), et espéraient un soutien de l’Etat britannique de près d’1 milliard de livres, ce qui n’a pas été acté. L’abandon probable de ce projet suit celui de l’énergéticien E.ON qui, il y a quelques mois, a renoncé pour les mêmes raisons à construire une centrale au charbon à CCS sur son site de Kingsnorth (Kent). Au total, sur les 13 projets de CCS de taille industrielle susceptibles d’être aidés par la Commission européenne, 6 ont déjà été annulés.

Une technique pas assez rentable

Car ce qui gène les investisseurs, c’est le coût de la technique. Le pilote de Total visait surtout à faire baisser ce coût.

Dans un premier temps, le lobbying a bien fonctionné, surfant sur l’attrait des élus et des décideurs politiques pour les solution simplistes et médiatiques. Ainsi, lors de la conférence de Cancun, en 2010, le CSC a été rendu éligible au mécanisme de développement propre (MDP). Ce qui signifie que les tonnes de CO2 capturées et stockées sous terre donnent droit... à des permis d’émission, qui peuvent être revendus et permettent donc d’émettre d’autres tonnes de CO2 dans l’atmosphère. En ces temps de spéculation effrénée, on sait que la « bulle carbone » est un nouveau marché permettant de beaux profits (voir Bernier Aurélien, 2008, Le climat otage de la finance ou comment le marché boursicote avec les droits à polluer, Eds Mille et une nuits).

Mais malheureusement, le marché des permis d’émissions est tellement laxiste que le prix des quotas s’est de nouveau effondré de 42% depuis le mois de mai 2011, faisant fondre la rentabilité des projets. Il faudrait que l’émission de la tonne de CO2 coûte 80$ pour que les industriels se tournent vers le CSC. Or le prix du quota européen approche, en octobre 2011, les 11€ sur Blue Next la bourse française du carbone.

Pas assez profitable, donc, pour les stars du CAC 40.

Une solution pas si indispensable

Mais surtout, il apparaît aujourd’hui que le recours au CSC n’est pas indispensable, selon les experts indépendants qui établissent le scénario negaWatt. Selon le rapport de 2011, les efforts portant sur la trilogie sobriété-efficacité-renouvelables, s’ils étaient menés de façon réellement efficace, suffiraient à renverser les tendances, sans nucléaire, et sans CSC.

Ce que répètent les ONG, au niveau local, national et international depuis des années !

Marie-Laure LAMBERT