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Des réserves pour l'ours : jamais ! - [SEPANSO Pyrénées-Atlantiques]
Des réserves pour l’ours : jamais !
Novembre 2011
Article mis en ligne le 1er décembre 2011
dernière modification le 5 octobre 2014

Il y a toujours eu des ours et des chasseurs sur le territoire de Laruns. Durant les siècles où la chasse de cet animal était autorisée, certains s’en firent même une spécialité. C’est ainsi que l’histoire locale retient, entre autre, les noms de Baron de Goust (31 ours tués de 1614 à 1667), Badiolle de Laruns (20 ours tués de 1673 à 1692) Jean Paris de Laruns (37 ours tués de 1688 à 1723), Pierre Bergé (12 ours tués de 1815 à 1861), Toussaint Saint Martin (29 ours tués de 1898 à 1959) [1]. Avec ce dernier, s’achève aussi l’époque de la chasse à l’ours, car leur nombre a tellement diminué que certains parlent désormais de le protéger.

Même le célèbre chasseur Marcel Couturier qui tua un ours en Aspe en 1953, proposait aux Ossalois de sauvegarder l’ours en agrandissant la réserve du Pic du Midi d’Ossau (créée en 1947 pour protéger l’isard) et en incluant le vallon du Bitet dans une nouvelle réserve. Tous les voisins européens prenaient ou avaient déjà pris à l’époque des mesures de règlementation de la chasse à l’ours sur les secteurs les plus favorables (Parc National de Sanfjallet en Suède en 1909, Parc National des Abruzzes en Italie en 1922, Parc national des Tatras en Slovaquie en 1949, Réserve nationale de chasse de Somiedo en Espagne en 1966, Aire centrale de conservation de l’ours en Slovénie en 1966). Hélas, jamais les chasseurs de Laruns ne ne créeront de réserves pour l’ours et lorsqu’ils en eurent la possibilité, avec la création du Parc national des Pyrénées, ils démontrèrent que telle n’était pas leur intention.

En effet, en 1964, lorsque les promoteurs du projet négocièrent les limites du Parc National, Jean Arruebo, président du syndicat des chasseurs et propriétaires de Laruns affirma : « Nous n’avons de leçons à recevoir de personne. En 1947, le conseil municipal de Laruns s’était prononcé à l’unanimité pour céder les droits de chasse pour la réserve du Pic du midi d’Ossau. Cette réserve est devenue nationale il y a quelques jours. Ce n’est pas 17 ans après que quiconque aura l’audace de nous dicter notre devoir. » [2]. C’est donc sans surprise qu’à la création du Parc National en 1967 aucune zone favorable à l’ours ne fut ajoutée en vallée d’Ossau, au secteur déjà classé de la réserve du Pic du midi. En d’autres termes les chasseurs affirmaient clairement : « des réserves pour l’ours : jamais ! »

Conséquence logique de cette volonté, les ours disparurent peu à peu de la vallée d’Ossau à coup d’empoisonnement ou d’ « accidents de chasse » dont l’un des plus retentissant fut celui qui aurait coûté la vie à une ourse et son petit en 1982. Devant l’évidente régression de l’espèce, l’État lança en 1984 un « Plan ours » sensé mobiliser tous les acteurs du problème. Les chasseurs de Laruns allaient-ils saisir cette nouvelle occasion ? On aurait pu le croire lorsqu’ils décidèrent trois ans plus tard de créer une Association Communale de Chasse Agréée (ACCA). Ce choix, en effet, les obligeaient à classer au moins 10% de leur territoire de chasse en réserve, belle opportunité de protéger enfin les sites vitaux de l’ours. Hélas, ils proposèrent au préfet de mettre en réserve les territoires déjà inclus dans le Parc National, où la chasse était donc déjà interdite. Outre le fait que cela n’apportait rien à la protection de l’ours, il s’agissait également d’une manœuvre illégale car les réserves d’ACCA doivent faire partie du territoire de chasse, ce qui n’est pas le cas du Parc National. Pourtant, le préfet signa les arrêtés agréant l’ACCA et instituant les réserves faisant sienne la devise des chasseurs de Laruns : « Des réserves pour l’ours : jamais ! » Et tandis qu’à Sanfjallet ou Somiedo, dans les Abruzzes ou les Tatras, les ours prospéraient, la situation était désormais désespérée en Béarn.

Il fallu tomber bien bas (certainement trop) pour qu’enfin l’État osa dicter aux chasseurs leur devoir en matière de protection de l’ours. En 1990, le ministre de l’environnement Brice Lalonde décida de créer enfin des réserves sur les derniers sites vitaux de l’ours. C’était encore trop pour les chasseurs qui manifestèrent et s’indignèrent. « Des réserves pour l’ours : jamais ! » Mais, pour une fois, pour la première fois, le ministre tint bon et imposa par décret plusieurs réserves, quelques jours avant l’ouverture de la chasse. Il existait enfin des espaces protégés pour l’ours dans les Pyrénées !

Hélas, un ministre chasse l’autre et Michel Barnier abrogea en 1993 les réserves créées par son prédécesseur. Seule une petite partie (170 ha sur 1300) de l’une des « réserves Lalonde » de la commune de Laruns fut instituée en réserve d’ACCA. Pour le reste, et en vertu de l’adage « des réserves pour l’ours : jamais ! », les chasseurs s’engagèrent simplement à ne pas chasser en battue à certaines périodes, sur certains secteurs. Par faiblesse ou naïveté, tout le monde leur fit confiance. Dans les faits, cette dérèglementation coûta finalement la vie aux deux dernières ourses des Pyrénées.

On ne pouvait mettre plus clairement en évidence le caractère destructeur de la chasse en battue ! La mort ultra-médiatisée de « Cannelle », poussa le préfet à réunir encore une fois tout le monde pour décider de mesures concernant la chasse en zone à ours. Allait-on règlementer la chasse ? Pour les chasseurs la réponse était évidente : « des réserves pour l’ours : jamais ! » De peur de heurter la sensibilité des nemrods, il fut donc décidé que les chasseurs avertiraient l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage lorsqu’ils envisageraient de chasser dans les secteurs les plus sensibles avant …d’aller chasser.

Le caractère pitoyable de ces mesures décida la SEPANSO-Béarn à dénoncer l’absence de protection concrète des dispositions préfectorales devant le Tribunal Administratif de Pau. Il fallu trois ans pour que le jugement tombe : le préfet devait revoir sa copie. Réunis à nouveau en préfecture, tous les protagonistes planchèrent sur la règlementation à mettre en place. Les chasseurs campèrent sur leur position : « Des réserves pour l’ours : jamais ! » Mais cette fois-ci, mis en demeure par le jugement du Tribunal administratif le préfet créa des réserves temporaires de chasse sur les sites vitaux de l’ours.

Des décennies de refus de créer des réserves pour l’ours de la part des chasseurs et de l’imposer de la part de l’État se terminait donc par la quasi disparition de l’ours et … la mise en place d’une règlementation. Restait cependant une anomalie. Les réserves de chasse de l’ACCA de la plupart des communes des vallées d’Aspe et d’Ossau, et notamment Laruns étaient toujours, pour la plupart, dans le Parc National des Pyrénées. La SEPANSO-Béarn s’adressa donc encore au tribunal administratif pour régler le litige. Le 24 mars 2011, un jugement énonça que la mise en réserves de chasse de territoires inclus dans le Parc National constituait une erreur de droit.

Il fallait donc que l’ACCA de Laruns mette en réserve au moins 10% de son territoire de chasse, comme toutes les ACCA de France et de Navarre. Mais, fidèles jusqu’au bout à leur devise : « Des réserves pour l’ours : jamais ! », les chasseurs de Laruns préférèrent dissoudre leur ACCA plutôt que de créer les réserves. Pouvait-on plus manifestement montrer son mépris de la protection de l’ours ?

Jean Lauzet

P-S : Après la dissolution de l’ACCA, une société de chasse a été créée, la réserve de 171 hectares a été maintenue.

Crédit Photo : Vincent Munier Photographie Nature Environnement www.vincentmunier.com